La Turquie et la Syrie se rapprochent


Bien que principalement symbolique dans sa signification militaire, l’exercice militaire turco-syrien d’avril 2009 a d’importantes ramifications politiques pour la Syrie, la Turquie et la région.
Pour la Syrie, l’exercice militaire avec la Turquie lui permet d’envoyer un message politique à Washington et de rendre Israël nerveux. Pour la Turquie, l’exercice militaire avec la Syrie l’aide à mieux protéger ses frontières et à développer des relations plus positives avec ses voisins arabo-musulmans.
Les relations turco-syriennes ont parcouru un long chemin depuis 1998, mais elles sont encore loin d’une alliance stratégique, qui nécessite des visions politiques parallèles et un positionnement au Moyen-Orient.
Le 27 avril, la Turquie et la Syrie ont lancé leur premier exercice militaire conjoint. Les exercices terrestres de trois jours entre les forces frontalières ont impliqué un échange d’unités pour améliorer la formation conjointe et améliorer l’opérabilité et devraient être suivis d’exercices similaires à l’avenir. Le même jour, les deux pays ont signé un accord de coopération militaire technique pour approfondir la collaboration entre leurs industries de défense.
La vue de Damas
La décision de la Syrie de mener un exercice militaire avec la Turquie s’inscrit dans le cadre de son objectif plus large de renforcer les relations avec la Turquie. Incertaine et quelque peu nerveuse à propos de la politique américaine, la Syrie prend des mesures pour construire un cercle d’amis dans la région en transformant ses voisins immédiats d’anciens ennemis en alliés utiles. Le président syrien Bachar al-Assad tente de renverser des décennies d’hostilité et de méfiance à l’égard de la Turquie et de l’Irak (les relations avec la Jordanie sont toujours tendues en raison de divergences politiques et d’une méfiance persistante), comme en témoigne le dernier accord entre le Premier ministre syrien Muhammed Naji al-Otri et son homologue irakien Nouri al-Maliki sur un plan pour réparer un oléoduc à travers la Syrie et conclure des accords stratégiques dans les domaines du pétrole, du gaz, de l’électricité et du commerce.
Bien que l’exercice turco-syrien puisse être sans conséquence sur le plan militaire étant donné sa taille relativement petite (comme décrit par le général Ilker Basbug, chef d’état-major de la Turquie) et le fait qu’il est éclipsé par les précédents exercices turco-israéliens, il a des ramifications politiques importantes.

Pour la Syrie, c’est encore un autre signe que le pays s’affirme avec confiance dans la région. Outre le développement des relations de défense avec la Turquie, l’exercice militaire conjoint, le premier d’une armée arabe avec un membre de l’OTAN, sert principalement deux objectifs: il envoie un message fort à Washington et rend Israël nerveux quant à ses relations avec la Turquie. À un moment où la Syrie attend de l’administration Obama qu’elle s’engage dans une politique de rapprochement, Damas utilisera un outil classique de diplomatie: augmenter la mise. Enhardi par ses relations renforcées avec la Turquie et son solide partenariat avec l’Iran, Damas augmentera ses exigences dans ses négociations avec Washington. En outre, en menant un exercice militaire avec la Turquie, la Syrie espère ajouter aux graves préoccupations d’Israël concernant l’ajustement de la politique étrangère de la Turquie dans le cadre du Parti de la justice et du développement (AKP), qui l’a apparemment rapprochée des intérêts arabo-musulmans et l’éloigne d’Israël. et l’Occident. Certes, la réaction dédaigneuse de la Turquie face à l’alarme d’Israël sur l’exercice n’a pas rassuré les responsables israéliens inquiets.
Les objectifs plus larges d’Ankara
La Turquie a mené l’exercice militaire dans le but immédiat de mieux protéger ses frontières contre l’infiltration kurde et dans le but à long terme de créer une relation plus positive avec ses voisins arabo-musulmans, parmi lesquels la Syrie est clairement un État clé.
Sous la direction du Premier ministre turc Recep Tayip Erdogan et du président syrien Bashar al-Assad, les relations turco-syriennes se sont considérablement améliorées. Ankara et Damas ont surmonté leurs anciennes différences et amélioré leurs liens politiques, économiques et socioculturels. La Turquie a résisté au côté de la politique de l’ancien président américain George W. Bush d’isoler la Syrie, et a plutôt servi, aux côtés de la France, de canal pour ouvrir Damas au monde extérieur. Plus important encore, il a servi de médiateur entre Israël et la Syrie en organisant des pourparlers indirects entre les deux pays. Dans une interview accordée le 28 avril au quotidien panarabe al-Sharq al-Awsat, Assad a déclaré que sous la médiation turque, Israël et la Syrie étaient plus proches que jamais d’un accord de paix.
La Turquie souhaite développer ses relations avec la Syrie pour plusieurs raisons. Premièrement, il veut avoir un dialogue honnête et productif avec la Syrie sur l’Irak et son intégrité territoriale, ce qui a des implications pour la question kurde intérieure de la Turquie (Ankara est préoccupée par les séparatistes kurdes dans le nord de l’Irak compte tenu des retombées potentielles en Turquie). Deuxièmement, il veut stimuler le commerce avec la Syrie, ce qui profitera grandement à la fragile économie turque (les responsables turcs pensent que la Syrie pourrait devenir une passerelle vers le monde arabe pour les produits turcs, tandis que la Turquie pourrait devenir une passerelle pour les produits syriens vers l’Union européenne et la Ouest en général). Troisièmement, il veut tester si la Syrie pourrait être un partenaire fiable à l’avenir, à un moment où les responsables turcs sont de plus en plus mal à l’aise avec le comportement d’Israël dans la région, en particulier après son assaut contre le Hamas à Gaza en janvier 2009. Quatrièmement, il veut se créer un rôle d’agent de puissance dans la région sur des questions importantes pour l’Union européenne et les États-Unis. Obtenir un effet de levier avec la Syrie aide la Turquie à devenir un acteur clé du processus de paix au Moyen-Orient.
L’exercice conjoint turco-syrien et l’accord technique militaire qui s’ensuit montrent un approfondissement des relations bilatérales entre la Turquie et la Syrie. Cependant, ce ne sont pas des preuves suffisantes que l’un ou l’autre pays envisage des changements radicaux dans sa politique étrangère ou poursuit de nouveaux alignements stratégiques. La Turquie ne met pas fin à son alliance stratégique avec Israël et la Syrie n’abandonne pas ses anciens alliés et ne rejoint pas un camp dirigé par la Turquie dans la région. Les relations turco-syriennes ont parcouru un long chemin depuis 1998, mais elles sont toujours en deçà d’une alliance stratégique, laçant comme elles font les visions politiques parallèles requises pour le Moyen-Orient et se positionnant au Moyen-Orient.


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