L’électricité est a priori non stockable, cela déterminait jusqu’à maintenant les technologies qui lui sont associées. Les politiques environnementales inversent la causalité: les technologies vertes imposent de stocker l’électricité. Avec des coûts élevés. Par Claude Crampes et Thomas-Olivier Léautier, TSE A cause de la non-stockabilité de son produit, l’industrie électrique n’a pu se développer que par des investissements gigantesques en capacités fiables de production et de transport. Les politiques environnementales actuelles qui donnent la priorité aux ressources renouvelables intermittentes inversent l’ordre causal : ce n’est plus la non-stockabilité qui détermine les technologies, ce sont les technologies qui imposent la stockabilité. Oublions les batteries des automobiles, les piles qui ne s’usent que si l’on s’en sert, et leur version moderne, les accumulateurs de nos appareils nomades de communication, oublions les stations de pompage et l’air comprimé. Pour l’essentiel, l’électricité est un produit non-stockable, ce qui a deux conséquences essentielles pour les opérateurs, l’une spatiale, l’autre temporelle. Pour ce qui est de la géographie, puisque le produit n’admet pas de rupture de charge, les entrepreneurs du siècle passé ont dû installer un système de transmission de l’énergie reliant physiquement de façon continue les nœuds de production et les nœuds de consommation. Cette électrification à l’échelle nationale, voire continentale, fait du réseau électrique la plus grande machine jamais conçue par l’homme, avec une emprise spatiale qui pose de plus en plus de problèmes environnementaux. Ce sont donc les pylônes, transformateurs, câbles et fils qui ont permis aux ingénieurs de résoudre avec succès la dimension géographique du problème créé par la non-stockabilité.[1] Pour l’essentiel, les problèmes temporels posés par la non-stockabilité du produit électricité ont été résolus par le stockage des facteurs servant à la produire : barrage + eau, réacteur + uranium, turbine à combustion + gaz naturel, centrale thermique à flamme + gaz ou charbon ou fioul. Les énergies primaires non stockables ont été au mieux intégrées au mix énergétique parce que bénéficiant d’une certaine régularité (centrales au fil de l’eau), au pire écartées de la solution technologique parce que jugées alors trop coûteuses (éolien et solaire). Avec les deux grandes peurs de ce début de siècle que sont le réchauffement climatique et l’accident nucléaire, cette organisation est entièrement remise en cause. Les gouvernements, qui réagissent aux sondages d’opinion plus qu’ils ne gouvernent, ne jurent plus que par les énergies renouvelables, essentiellement l’éolien et le solaire. Comme ces sources d’énergie dépendent de l’alternance des jours et des nuits, des cycles saisonniers et du régime des vents, si les consommateurs veulent disposer d’électricité hors des diktats de la nature, il faut trouver des moyens de stocker les excédents d’énergie pour les déstocker aux moments désirés.[3] Si les autorités maintiennent leurs ambitions en matière de sources d’énergie renouvelable, de fermeture de centrales thermiques émettrices de gaz à effet de serre et de polluants locaux, et de fermeture de centrales nucléaires honnies par une partie de la population, la nécessité de développer le stockage des énergies intermittentes va s’imposer. Il faut donc s’attendre à une augmentation des coûts car, s’il est vrai que ces énergies ont des coûts d’exploitation très faibles, leur transformation en électricité fiable exige des coûts en capacité très élevés. Ces gigantesques économies en énergies primaires polluantes sont très séduisantes. Mais elles pèsent d’un poids d’autant plus faible que le taux d’escompte, ou, si l’on préfère, le taux de préférence pour le présent, est élevé. Pour des décideurs myopes, les dépenses en capital d’aujourd’hui pèsent bien plus que les économies d’énergie de demain. Avec un taux d’escompte de l’ordre de 10%, les dépenses à réaliser au-delà d’une décennie sont négligeables. Pour que les énergies renouvelables s’imposent sans trop grever le budget des ménages, il est donc indispensable soit de faire baisser les taux d’escompte pour accroitre l’intérêt des économies d’énergies primaires à venir, soit de faire baisser très fortement le coût en capital des énergies intermittentes, dont notamment le coût du stockage. Soyons optimistes. Comme dans toutes les industries de masse, tirées par une demande en développement les technologies de stockage devraient voir le coût de leurs produits baisser grâce à des effets d’apprentissage et des économies d’échelle.
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